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Amulette

L’amulette pourrait être considérée comme le stade primitif du talisman en ce qu’elle protège contre un mal indéfini, alors que celui-ci, surtout lorsqu’il est écrit, serait plus spécifique.


Le mot amulette recouvre en fait plusieurs acceptions. La première traduit ses vertus apotropaïques : l’amulette sert à repousser les dangers, les maladies les mauvaises influences produites le plus souvent par l’envie qui peut se résumer dans la notion assez vague mais très répandue du « mauvais œil », émanant des humains ou des jnun (démons). La seconde traduit ses pouvoirs prophylactiques. L’amulette possède en même temps les charmes (medicines) ces qualités bénéfiques qui procurent à la fois réussite et bonheur.

C’est en conservant à l’esprit ce double pouvoir attribué aux amulettes que seront étudiées les différentes expressions que lui ont données les populations berbères depuis les origines jusqu’à nos jours et nous considérons ce mot dans son sens le plus large de charme, en tenant compte de la conception qu’en ont donné l’ensemble des populations berbères, arabes et juives du Maghreb.

Le rôle des amulettes est en effet bien antérieur à l’Islam. Dès les temps préhistoriques, à l’Epipaléolithique, leur variété est infinie et généralement en relation avec le milieu géographique : elles peuvent être empruntées au règne minéral, végétal ou animal ou apparaître plus tard sous forme de bijoux en métal, de peintures, de tatouages même.




Qu’il s’agisse de fragments brillants de galène, de géodes de quartz miroitant au soleil ou de simples galets émoussés, la présence de ces pierres dans bon nombre de sites préhistoriques révèle la valeur que les hommes préhistoriques leur reconnaissaient. La litholâtrie que perpétuent les mœurs berbères doit être rattachée aux mêmes préoccupations prophylactiques et apotropaïques. Ainsi, le simple galet, une fois percé devient-il pendeloque, au même titre que le bâton d’ocre auquel s’adjoignent les vertus de la couleur rouge, symbole du sang, de la vie, de force et d’efficacité, vertus que l’on retrouve de nos jours, partout au Maghreb, dans l’application du henné sur les mains, les pieds et dans la chevelure.


Dans les tombeaux puniques, les amas de cailloux ronds, ovales, joints au cristaux de roche ne sont jamais fortuits.

Le double rôle joué par les pierres et la couleur rouge se retrouvera dans le Maghreb berbère avec l’emploi du corail. Si celui-ci est peu employé dans le Sud marocain autrement qu’en éléments d’enfilage de colliers, de pendants de tresses ou de boucles d’oreilles (Dra), cette matière est très largement répandue en Grande Kabylie sous forme de cabochons incrustés de morceaux de corail qui rehaussent de leur teinte chaude presque tous les types de bijoux. Au M’zab, le corail ne se portait qu’en breloques ou en enfilade de perles.


La cornaline, qui passe pour avoir la propriété de coaguler le sang, apparaît dans des ornements de coiffures des femmes des régions proches du Sahara (Dra) et chez les Touaregs ; Cette tradition remonte très haut puisque parmi le riche mobilier du tombeau de Tin Hinan* à Abalessa, les perles de cornaline étaient nombreuses et accompagnaient, entre autres objets de parure, une coupe en pierre contenant de l’ocre.

L’ambre jaune* dont les vertus bénéfiques sont bien connues est absent des sites préhistoriques et romains, rare dans les tombes puniques ; de nos jours, il est surtout utilisé au Maroc sous formes de perles irrégulières très aplaties, de couleurs ocre plus ou moins foncé, comme éléments de colliers ou d’ornement de coiffure. Devenu rare et onéreux, l’ambre est maintenant fréquemment remplacé par de la résine synthétique, en particulier chez les femmes Aït‛Atta qui portent de très longs colliers comportant une quarantaine de grosses boules jaune clair, séparées par des rondelles de feutre rouge, dont les extrémités pendent côte à côte dans leur dos.


Le soufre est cité au M’zab comme élément apotropaïque, un morceau de cette matière était suspendu derrière la tête au-dessous du Kambūs, (parure de tête) mais c’est surtout le sel qui est considéré dans tout le Maghreb, comme une substance bénéfique.

Parmi les éléments végétaux, la fève nouvelle est quelquefois utilisée au Maroc alors que les clous de girofle enfilés en grand nombre sur un fil forment des colliers odoriférants utilisés aussi bien en Grande Kabylie qu’au Maroc et dans d’autres régions du Maghreb.


Dès la Préhistoire les hommes ont puisé abondamment dans le règne animal pour fabriquer leurs parures. Les coquillages y ont une place de choix et, parmi eux, les cauris (cyprées ou porcelaine). Tour à tour considérée comme figurant un œil ou une vulve cette coquille a été intégrée par E.G. Gobert dans la magie vulvaire.

La généralisation de l’emploi des cauris semble être, en Afrique du nord, postérieure au Néolithique. Il n’est pas rare d’en trouver dans les dolmens comme ceux de Roknia et Bou Nouara. Ce coquillage qui provient de l’océan Indien eut un tel succès qu’il fut même imité en faïence : P. Cintas cite de telles productions parmi les nombreuses amulettes puniques.

De sa ressemblance avec le sexe féminin, sexe redoutable, le cauris tire une valeur apotropaïque qui finit peut-être par obscurcir les images premières suggérées par les différentes positions qu’on a pu lui donner. Le cauris est donc un phylactère qui a sans doute perdu sa valeur initiale pour devenir une pendeloque ou même un simple ornement cousu ou collé sur des lanières de cuir comme on peut le voir aujourd’hui encore chez les Touaregs.


Il est bien évident que les cyprées perforées des gisements ibéromaurusiens, capsiens ou néolithiques n’étaient pas suspendues seules au lien qui les retenait. Il n’est besoin, pour s’en convaincre, que de rappeler la variété des objets perforés entrant dans la composition d’un collier d’amulettes porté par un bébé kabyle : on y reconnaît des boutons de tunique, des perles de verre, une clé de valise, un soc de charrue miniature, des noyaux de datte, une Columbella, des Pectunculus violascescens, une canine de chien, des Trochus. A cet ensemble sont associés plusieurs cauris.


J. des Villettes rapporte les interprétations données par deux femmes kabyles concernant ces cauris. La première, du village d’Aourir, s’adressant à son cousin qui servait d’interprète dit que le cauris est appelé takelbunt : la chienne, parce qu’il garde le bébé comme une chienne. La seconde rapporte l’interprétation d’un marabout disant qu’on trouvait les cauris dans l’oreille des poissons et qu’on les fait porter aux enfants pour qu’ils ne pleurent pas.


Aucune allusion n’est donc faite au symbole sexuel renfermé dans les cauris, mais la femme d’Aourir s’adressant à un homme de sa famille a, peut-être par pudeur, volontairement passé sous silence cette interprétation. Notons cependant que dans le village d’Aourir les cauris et le plomb sont utilisés pour protéger des maladies les animaux domestiques particulièrement précieux, surtout les vaches et parfois les brebis.


Une femme musulmane d’Alger, rencontrée au hasard, avait accroché sur le bonnet de son enfant, un cauris avec des perles et des boutons. Interrogée sur la signification de ce coquillage, elle se contenta de répondre : « c’est bon pour l’enfant ». La véritable signification de cet objet, peut-être transmis de génération en génération, est oubliée depuis longtemps, de même que l’origine de son pouvoir. C’est uniquement de sa vertu bienfaisante que l’on a conservé le souvenir.


Un autre coquillage participe à la parure des femmes drawiat du Ktawa ; c’est un gros anneau blanc (mjuna) découpé à la base d’un conus qui accompagne les trois cornets d’argent à l’extrémité de leur tresse occipitale. Les uns et les autres sont remplis dans leurs parties creuses (l’envers de l’anneau) d’une sorte de cire noire, Ifasux, nom d’une oléorésine formée par la piqûre d’un insecte sur des ombellifères et souvent utilisée en magie. Il s’y mêle des dattes écrasées (tmar) et peut-être de l’argile. Cette cire sert aussi à coller un fragment de miroir sur l’envers d’une fibule.

Au cours des temps préhistoriques de nombreux autres coquillages ont été utilisés et perforés : pourpres, murex, turritelles, columbelles, nasses, cônes, sans parler des pétoncles, pectens, spondyles et cardium. Notons que les cônes sont très fréquents parmi les parures trouvées dans les tombeaux puniques et leur emploi comme celui de bon nombre d’autres coquillages, perdurera jusqu’à nos jours.




Les boucles d’oreille* portées dans le Sud marocain, en Kabylie et dans l’Aurès, sont le plus souvent des anneaux, soit très fins et de grand diamètre, soit plus épais et creux et ornés de pendeloques au nombre de trois, quatre ou cinq. Dans la vallée du Dra, elles présentent à l’intérieur de l’anneau un motif en forme de pigeon, surmonté de la marque de son pied (adrar utbir). On ignore l’origine de ce pigeon, ou colombe, qui se retrouve sur certaines fibules tunisiennes. C’est un des rares symboles zoomorphes reconnu sur les bijoux. Si l’on peut douter de la valeur magique actuelle des anneaux d’oreille portés par les femmes, on ne saurait le faire pour ceux que portent à une oreille seulement, certains hommes et jeunes garçons.

30Cette pratique était connue dès l’Antiquité. S. Gsell avait noté que Jugurtha ne portait qu’un seul anneau d’or suspendu à une oreille et les fouilles des sépultures sont venues corroborer cette observation : cromlech de Ras-el-Ain-bou-Merzouk, tumulus du Telagh, nécropole de Draria el-Achour. Chez les Touaregs les hommes ne portent jamais qu’un seul anneau à l’oreille droite.


Le nombre 5 : Le Xamsa (cinq) est certainement le signe prophylactique le plus répandu au Maghreb. Il dérive de la main* protectrice que l’on trouve dès la préhistoire, à travers les époques et les pays les plus divers, récupérée et adaptée par l’Islam. La main, instrument parfait donné par le Créateur, n’a-t-elle pas cinq doigts, comme les cinq dogmes de l’Islam ayant chacun trois modifications (phalanges) sauf le premier (pouce), sans parler des cinq devoirs ou des cinq piliers de la religion. Pour J. Herber, la main prophylactique, l’amulette, est une entité à distinguer de la main religieuse avec laquelle elle n’a rien de commun. Elle fixe les croyances relatives au seul médius, c’est une amulette phallique. Pour E. Doutté c’est l’index, doigt de l’insulte dirigé contre le mauvais œil, mais aussi doigt de la Chahada (profession de foi). Pour d’autres (E. Vassel) c’est la main ouverte de l’orant, chaldéenne et punique. La main berbère, quant à elle, symbolise la protection, le pouvoir, la force (E. Laoust).

32Le nombre cinq a absorbé le pouvoir magique de la main, il est devenu lui-même un charme contre le « mauvais œil » (Westermarck). La forme de la main peut se trouver modifiée dans des objets qui ne sont plus que l’expression du nombre cinq et qui conservent sa fonction bénéfique et sa puissance d’action. Ces objets sont une protection plus durable que le geste qui consiste à lancer en avant les cinq doigts de la main vers le « mauvais œil » en prononçant : (en arabe) Xamsa fiaïnik, cinq dans ton œil, Xamsa désignant également la main.

33Des plaques d’argent, ciselées ou niellées sur une face, portées en collier, en pendant de tresses ou en fibules, présentent toutes les formes intermédiaires de la main avec ses cinq doigts, au rectangle (luḥa, la planche) dont le décor se divise en cinq registres. La main est stylisée, souvent symétrique avec deux pouces recourbés, les trois doigts du centre collés et de longueurs égales. Très répandues, des pendeloques terminales en ailettes (tifert, tifrawin), triangulaires, ont le bord inférieur découpé de cinq dents, reliquats vraisemblables des doigts. Des plaques plus épaisses de forme ogivale, percées de deux étroites ouvertures en forme de mihrab, ont souvent trois petits appendices trilobés sur les côtés et en bas. On les nomme parfois metbu (Mazguita, Dra), certains comportent un décor de salamandre, symbole de tradition juive. Toutes ces plaques sont reconnues comme amulettes.

34L’amulette connue sous le nom de fult Xamsa, pendentif quadrilobé à cabochon central, répandu à Marrakech et sur la côte atlantique, est peu portée dans le Sud marocain, des exemplaires de petites dimensions figurent occasionnellement dans les pendants de tresses (Tafilalt).


Le nombre 3: Si le caractère magique du cinq se place au premier plan des amulettes d’autres nombres jouent aussi leur rôle, sans qu’on puisse exclure que ce rôle soit le même que celui du Xamsa. Certains pendentifs portés dans le sud du Maroc présentent le thème de la triade, ils sont analogues au basakou soudanais, ou dérivés de la « croix du Trarza » mauritanienne. En forme de boîtes, mais fermées, ils étaient peut-être destinés à recevoir des talismans écrits et sont décorés de mamelons et de filigrane. Également d’origine soudanaise est un ornement-amulette formé d’un ruban d’argent qui se déroule en zig-zag arrondis, surmonté de quelques perles longues (leḥliya). Les fillettes drawiat du Ktawa le portent accroché d’un côté de leur coiffure tressée, et de l’autre trois petits cornets d’argent (mhagen = entonnoirs) réunis dans un anneau par leur sommet, comme trois clochettes sans battant, mais cliquetant les unes sur les autres. Les femmes mariées en ornent l’extrémité de leur tresse occipitale.

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